Last updated on mai 19, 2022
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C'est un élément essentiel de la sagesse humaine, de Socrate aux humoristes contemporains : moins on en sait sur quelque chose, plus cela semble simple, facile à comprendre, et plus on semble confiant... Les ignares sont les personnes les plus certaines d'avoir raison - et les plus autoritaires.
Choisissez un domaine dans lequel vous avez étudié et pratiqué pendant longtemps - qu'il s'agisse d'un métier, d'un sport, d'une relation, d'un passe-temps ou d'une question sociale ou politique. Avez-vous déjà vu quelqu'un affirmer qu'il était facile de résoudre le problème, que le sujet était simple (le "yaka faucon", ou pire le "taka foktu") ? Ou même, balayer toute votre expérience et vos efforts d’un revers de main ? Par exemple, en parlant d'athlétisme : "Eh bien, ils ne font que tourner en rond, n'importe quel idiot peut courir". N'avez-vous pas reçu une pléthore de conseils spontanés (et inutiles) de la part de quelqu'un qui ne connaissait rien à la question ?
Ce qui est tragique, c'est que ceux qui ne comprennent pas le problème sont généralement ceux qui pensent qu'il n'y a rien à apprendre, donc ils n'essaieront pas d'améliorer leurs connaissances et leur compréhension.
Il en va de même pour la sexualité. Les pires amants sont généralement les plus sûrs de leurs prouesses sexuelles - et les plus entreprenants. Ils pensent tout savoir, car ils ne savent même pas qu'il y a quelque chose à apprendre.
Socrate, le fondateur de la philosophie occidentale, disait toujours qu'il ne savait rien. L'oracle de Delphes lui a dit que la personne la plus savante de Grèce était Socrate lui-même. Parce que savoir que notre savoir est insignifiant est le plus important (et rare) de tous les savoirs.
Voici selon moi, la progression de la compréhension et de la compétence d'une personne dans un sujet donné :
1. Ignorance totale et confiance absolue
"Je ne sais pas que je ne sais pas". Ceux qui ne savent rien, ne savent généralement même pas qu'il y a quelque chose à savoir. Et cela permet un niveau de confiance maximal.
Ils ont une vision simpliste du sujet. Il n'y a rien à apprendre, rien à étudier. Il n'y a que quelques décisions simples à prendre - et l'ignare se porte volontaire pour les prendre, conseiller, et juger les gens qui sont confrontés aux problèmes.
"Tout problème, quelle que soit sa complexité, a une solution simple, facile à comprendre et ERRONÉE" (précision d'Arthur Bloch sur une célèbre citation de Mark Twain).
Les ignorants ont tendance à ne pas tenir compte des efforts de ceux qui sont spécialisés dans le domaine (si c'est facile, la réussite n'est pas un exploit), et à mépriser ceux qui essaient et échouent. Ils ont tendance à rejeter toute critique de leur point de vue, toute nuance (il n'y a qu'une seule solution "évidente"), et à mépriser ou à s'opposer à quiconque pense différemment.
Ce phénomène est généralement très apparent en politique et sur les sujets de société : les personnes qui n'ont jamais été confrontées à un problème mépriseront ceux qui s'en occupent. C'est aussi le cas des "connaissances empruntées" (je connais une personne experte, et donc toute autre avis sur le sujet est un mensonge).
En matière de sexualité, la majorité des gens ont tendance à penser que c'est "instinctif", "naturel"... et ils finissent par avoir une sexualité très pauvre, insatisfaisante. Le plus souvent, ils se retrouvent avec des relations insatisfaisantes, et ils ne se rendent même pas compte que leur certitude est à l'origine de leur insatisfaction et de leur amertume.
2. Savoir que je ne sais pas... le moment Du Doute maximal
Lorsque l'on découvre qu'il y a quelque chose à savoir, une compétence et des aptitudes à développer, la première prise de conscience est que l'on était stupide et ignorant.
Nous découvrons l'étendue du sujet et sommes dépassés par toutes les choses que nous devons apprendre pour ne serait-ce qu'aborder le sujet. Ce sentiment est renforcé par la culpabilité d'avoir été si aveugle.
Quand j'étais enfant, je pensais que l'athlétisme se résumait à des gens qui couraient sur un terrain. Quand j'ai découvert qu'il y avait la gestion du souffle, la musculation, le jeu mental... Je me suis senti dépassé.
C'est aussi le moment du choix : soit je choisis de me lancer et d'apprendre, soit j'accepte de n'avoir aucune autorité sur le sujet – et je me tais.
En matière de sexualité, c'est un moment redoutable. Parce que c'est tellement important pour l'identité d'une personne ! Et où va-t-on apprendre ? A qui faire confiance ? Ceux qui peuvent conseiller ou informer sont aussi variés que difficiles à trouver, l'information est noyée sous la pléthore de P&P (Puritanisme et Porno). Et il y a beaucoup de fausses connaissances (désinformation) et d'idéologie à traverser. La plupart des gens essaient par eux-mêmes, avec leur intuition, par essais et erreurs, de trouver leur façon de satisfaire et de donner de l'amour et du plaisir à leurs partenaires. C'est en grande partie ainsi que j'ai appris. Apprendre par soi-même n'est pas un processus rapide, ce qui peut être frustrant, mais c'est bien mieux que de s'en remettre à des sources politiques (P&P).
Mon conseil : les femmes savent généralement que la plupart des hommes sont ignorants et confiants (catégorie n°1). Comme Socrate à Delphes, le simple fait d'affirmer que vous ne savez rien vous place très au-dessus du niveau moyen. Pour appréhender ce "syndrome", l'approche est la même que quand on est expert : aborder sa partenaire avec curiosité, bonne volonté, et surtout, un dialogue et une écoute ouverte. Pour savoir comment faire ce dialogue, voyez cet article.
3. Savoir qu’on sait un peu : accumuler des connaissances... et de la fierté.
Quand on commence à savoir quelques trucs, à maîtriser quelques compétences, à accumuler des connaissances, on a l'impression de comprendre la profondeur du sujet.
Le premier réflexe est de ressentir de la fierté. Maintenant, je suis un expert. Je sais des choses que la plupart des gens ne savent pas. Je comprends ce sujet.
Parfois, cette fierté s'accompagne d'un certain nombre de préjugés ou de ressentiment à l'égard de ceux qui ne savent rien et pensent avec certitude que c'est simple. Je peux ressentir du mépris pour tous ceux qui ne comprennent pas qu'il s'agit d'un domaine d'expertise, et qu'il faut des efforts, du talent, des compétences pour ne serait-ce que comprendre ce que signifie ce domaine. Ou bien je peux me sentir enthousiasmé par mes nouvelles connaissances et vouloir les partager avec tous ceux qui m'entourent, sans tenir compte de l'importance qu'ils y attachent...
C'est une période de nouvelles certitudes. C'est aussi le moment où l'on fait des erreurs par excès d'enthousiasme ou de confiance en ses connaissances!
Le cas de la compétence inconsciente (je ne sais pas que je sais) - et l'illusion de la vertu
Sur certains sujets, on apprend sans en avoir conscience. C’est le cas des compétences que l’on assimile via la culture, ou parfois dans des situations de "jeu" (activités que l’on fait pour le plaisir de les faire). Ces sont des compétences où l’on a appris sans se rendre compte qu’il y avait des connaissances formelles associées, de l’entraînement. On a tellement l’habitude de faire une action, qu’on a l’impression qu’elle est "naturelle" (à partir de l’âge de 3 semaines, aucun comportement humain n’est naturel). Et on ne comprend pas les gens qui ne font pas comme nous.
Cela induit un phénomène très particulier, où l’on n’a pas conscience d’avoir une capacité, et où l’on juge très négativement les gens qui ne l’ont pas – et on suppose alors que ceux qui ne savent pas faire sont débiles, ou de mauvaise volonté ; alors que c’est simplement qu’ils n’ont pas appris, ou ne sont pas parvenus à maîtriser le sujet. Ces compétences inconscientes sont souvent :
- des compétences de perception (demandez à un parfumeur ou à un musicien : leurs sens se sont développés via la pratique)
- des compétences de raisonnement : on est conscient que les modes de pensées sont appris à l’école ; et pourtant, certains nous semblent tellement « évidents » que ceux qui n’ont pas l’habitude de les employer nous semblent stupides.
- des compétences culturelles : en particulier la politesse, les « bonnes manières », ce sont des compétences. On est pourtant capable de s’en rendre compte pour certains us et coutumes particuliers, comme ceux de la haute société britannique. Mais c’est aussi le cas pour la politesse la plus basique de tout groupe humain : si on n’a pas appris, on ne sait pas quel comportement est acceptable ou non. Et là, le fait de ne pas avoir acquis les références d’un certain groupe fait que ce groupe se sentira offensé, et aura l’impression d’un manque de respect… quand c’est souvent simplement un manque de connaissance ou des références différentes. A noter que les normes de genre (hommes et femmes) sont des cultures!
- des compétences d’écoute et d’empathie : écouter l’autre, cela s’apprend. Et souvent, cela s’apprend car on a vécu quelque chose qui nous permet de le comprendre. C’est d’ailleurs pour cela que les stéréotypes de genre divisent autant et aboutissent à des notions de haine et de guerre. « Les situations que je subis devraient être évidentes à tout le monde ! » (Non. Les connaissances sur des réalités que l’on n’a pas expérimentées sont acquises, et seule l’expérience d’une situation douloureuse, et des efforts internes, permettent de comprendre une souffrance que l’on n’a pas vécue soi-même)
- des compétences de communication : parler, articuler, expliquer, vendre, tout cela sont des compétences. Non, un vendeur n’est pas commercial de façon innée – même s’il en a l’impression. Les écrivains s’entrainent. Une personne qui est habituée à parler avec des étrangers aura appris à parler lentement et à articuler. Et rappelez-vous : le sexe est une forme de communication.
Ces compétences qui nous semblent innées, nous font réagir de la même façon que sur les sujets que l'on ne connait pas du tout : on a la certitude qu'il y a "une seule bonne méthode", et on juge les autres avec mépris. Comment les distinguer? En général, sur les "compétences inconscientes", on observe un résultat dans la réalité. Si je gagne de l'argent en faisant quelque chose, j'ai une compétence dans ce domaine. Si mes amis font souvent appel à moi pour un sujet, c'est que j'ai une compétence. Si je réussis ce que j'ai décidé, c'est sans doute que j'ai appris quelque chose. Si par contre je pense que ce que fait mon voisin est facile, sans avoir jamais essayé, là, c'est que je n'ai pas pris conscience des compétences nécessaires...
Il peut être utile de prendre conscience de ces expertises, pour trois raisons :
- Être indulgent avec les autres. Non, ce n'est pas parce qu'ils sont mauvais, c'est parce qu'ils n'ont pas appris.
- Pour se sentir fier de soi, et réaliser que l'on a des capacités - mais aussi, ne pas se sentir "justifié" (jusqu'à ce que vous réalisiez que ce que vous faites est appris, vous pouvez penser que vous faites bien les choses parce que vous êtes moralement supérieur).
- Évaluer dans quelle mesure il s'agit d'une compétence. Peut-être, une fois que j'ai réalisé que cette chose que je fais est une compétence, je peux croire que c'est une compétence facile, et puis après enquête, je réalise que c'est rare et unique : peut-être y a-t-il une raison à cela ?
Cela peut être un long processus d'évaluation de la difficulté pour les autres d'apprendre ce qui peut sembler "naturel" pour soi. C'était ma vision de la compétence sexuelle pendant de nombreuses années. Je savais comment donner des orgasmes aux femmes que j'aimais, et je n'avais que de la compassion pour les femmes et du mépris pour les hommes qui n'y arrivaient pas.
Et puis, une fois que l'on a pris conscience que c'est une compétence, on se rend compte qu'on peut l'améliorer - et éventuellement, devenir un expert.
4. Approfondir, et rencontrer le syndrome de l'imposteur
Lorsqu'une personne est passionnée par quelque chose, elle essaie d'approfondir ses connaissances. Et, au bout d'un certain temps, elle réalise à quel point le sujet peut être vaste. On découvre que de nombreux livres et écoles ont existé, de nombreux experts, et qu'une vie ne suffirait pas pour absorber l'immense savoir qui existe déjà.
On découvre aussi qu'il n'y a pas qu'une seule façon de voir les choses, de résoudre le même problème, que certaines solutions qui fonctionnent la plupart du temps ne fonctionnent pas tout le temps, que certains experts excellent dans un aspect du domaine, mais pas dans tous. Les compétences pour la course de sprint ne sont pas les mêmes que pour la course d'endurance. Il existe de nombreuses façons de s'entraîner et de réussir dans les deux cas.
C’est alors qu’on devient un étudiant avancé dans le domaine de connaissances que l’on a choisi. C'est la période où l'on passe le plus de temps à écouter plutôt qu'à parler (on a appris à apprendre). C'est aussi à ce stade que se présente le syndrome de l'imposteur - qui suis-je, comparé à tel maître, telle enseignante, qui ont tellement plus de sagesse et d'années d'étude!
Ce sont celles et ceux qui parlent de leurs connaissances avec des nuances, des questions, un mélange d'humilité et de savoir - et une volonté d'en chercher davantage. Ce sont également ceux et celles qui atteignent une expertise maximale. Ils étudient le sujet de leur choix et s'améliorent continuellement, souvent sans se vanter, car ils savent que leur compétence n'est qu'un fragment de l'expertise possible.
5. Accepter ses limites.
Lorsqu'on se rend compte que même les meilleurs experts sont également limités dans la quantité de connaissances qu'ils peuvent acquérir, on peut choisir d'être confiant. Il s'agit d'un choix. "Je suis compétent en matière de course de sprint. Je m'entraîne. Je peux vous donner des conseils si vous le souhaitez. Je sais qu'il y a d'autres experts. Ils peuvent vous apprendre des choses que je ne peux pas."
Lorsque vous avez atteint ce moment, vous ne voyez souvent pas les autres experts comme des concurrents, mais comme des modèles qui peuvent vous enseigner, et des confrères et consoeurs qui peuvent apprendre de vous. Tous et toutes ont une connaissance partielle de votre sujet, et chacun d'entre vous est sur son propre chemin pour élargir ses connaissances et son expertise.
Et maintenant, vous pouvez envisager de contribuer à l'expansion de la connaissance, avec votre apport unique. Vous savez que votre contribution sera insignifiante par rapport au vaste éventail des connaissances humaines, mais vous savez que votre expérience peut profiter à d'autres dans leur voyage au sein de la matière que vous étudiez.
C'est une confiance sage et sereine.
Mais elle est éphémère. On oscille toujours entre ce stade et les deux précédents : parfois, on se sent affirmatif et certain – à tort ou à raison - et parfois on se sent dépassé par l'étendue de votre ignorance. Parfois, on tombe sur un problème que l'on ne sait pas résoudre, sur un savoir que l'on ne connait pas ou sur une solution qui, inexplicablement, ne fonctionne pas.
Ce parcours d'accumulation de connaissances, de remise en question de ses compétences et d'incertitude liée à la découverte d'un domaine d'expertise est sans fin.
En général, si quelqu'un semble très sûr de lui et argumente sans nuance... il y a de fortes chances qu'il soit ignare. Lui dire qu'il y a beaucoup plus de complexité qu'il ne le pense pourrait l'inciter à s’informer. Et s'il n'écoute pas, suivez ce conseil, lui aussi attribué à Mark Twain : "Ne débattez jamais avec un imbécile, les spectateurs risquent de ne pas faire la différence."
Votre avis :
- Avez-vous fait l'expérience de ce voyage de l'ignorance à la sagesse ? Dans quel domaine ?
- Avez-vous une histoire savoureuse d'un ignorant furieusement certain d'avoir raison ?