6 raisons pour lesquelles être pro sexe me rend anti porno

Temps de lecture moyen: 9 minutes

Je crois fondamentalement que l'idéologie du porno est la même que celle du puritanisme, et leurs effets sur notre vie sexuelle sont similaires. Il me semble que je ne peux pas être "sex positif" sans être "anti-porno" – tout comme un gastronome est naturellement opposé à la malbouffe !

Précisions utiles :

• Je n'ai aucun problème avec le concept de représenter la sexualité en général - tant que le processus ne cause de tort à personne.
• Quand je dis "anti-porno", je veux dire que l'industrie du porno, telle qu'elle est actuellement dans nos sociétés, me pose problème. Il me semble que plus de 90% de la production porno actuelle est problématique, pour les 6 raisons ci-dessous.
• Je ne blâme pas les personnes qui consomment du porno (ni les actrices). On a TOUS regardé du porno. Celui-ci est conçu pour exercer un attrait, auquel il est difficile de résister.
• Je ne prétends pas avoir une solution politique aux problèmes que je soulève. Mon propos principal est sur mes valeurs et les raisons pour lesquelles je n'aime pas le porno. Certaines personnes peuvent être en désaccord avec mes conclusions, tout en étant d'accord avec les valeurs et les principes que je défends. Je pense que comprendre ces valeurs est important pour l'expérience Orgasm Lovers.

J'aime le sexe - cela va sans dire. Pour moi, le sexe est une activité merveilleuse, y compris le sexe occasionnel, le sexe récréatif et l'exploration des désirs et des fantasmes.

Et quand je dis que j'aime le sexe, je parle de pénétration, d'éjaculation et orgasmes... pour les deux partenaires ! C'est l'un des points majeurs de ma philosophie : les DEUX doivent en profiter.

Ma préférence est à la sensualité, à la tendresse et à une sexualité où l'on prend son temps. Selon moi, explorer le toucher et profiter de chaque instant du voyage, c'est le meilleur moyen d'obtenir un maximum de plaisir pour une majorité de personnes - pas tout le monde, une majorité.

Je suis conscient que nous avons tous des plaisirs, des fantasmes et des désirs différents, et j'encourage leur exploration. Quel que soit le fétiche, si tout le monde est d'accord et y prend du plaisir, je suis pour.

Dans ce cas, comment puis-je être "contre" le porno ?

• Il y a des questions éthiques, en particulier en ce qui concerne la violence que je perçois dans plus de 90% du porno grand public - et des implications pour les actrices et les spectateurs.
• Je perçois aussi différents problèmes dans les effets que la pornographie actuelle a sur nos vies amoureuses, notre éducation et notre société. 

1. Brutalité et violence envers les actrices 

Les études scientifiques sur la pornographie montrent que 90 à 96 % des scènes pornographiques comportent des actes de violence, tels que frapper, gifler, cracher, étouffer... Ce qui est, dans le meilleur des cas, problématique.

Mais, mis à part la violence associée, les actes sexuels eux-mêmes sont généralement très brutaux. Les études ne mentionnent pas cela à cause du tabou, à cause de l'idée que le sexe, c'est du sexe. Ce qui est faux.

Une main sur une joue peut être une caresse ou une gifle selon la vitesse et la force : il en va de même pour la pénétration sexuelle. Pour un corps de femme, la préparation, la vitesse et la force de pénétration font une énorme différence entre plaisir et douleur. Et les pénétrations sexuelles réelles que j'ai vues à l'écran ressemblent à des actes de violence, souvent proches de la torture.

Soyons honnêtes, la violence est une grande partie de l'attrait du porno. C'est excitant justement parce que cela stimule le "tabou", la transgression, les fantasmes que nous avons que nous n'oserions jamais réaliser. C'est cathartique.

Mais, dans les films ordinaires, la violence est simulée. Les acteurs hollywoodiens ne sont pas réellement frappés, maltraités ou blessés physiquement : on utilise du maquillage et des effets spéciaux. Mais les actrices porno sont effectivement frappées, giflées, étranglées, pénétrées brutalement, etc. Pourquoi ? Les animaux dans les films ont plus de droits que les filles dans le porno !

• Maltraiter quelqu'un devant une caméra n'est pas de la liberté d'expression.
• Brutaliser quelqu'un et lui payer 200 $ pour sa peine n'est pas du "travail".

Adultes consentantes? 

Les relations de pouvoir hiérarchique, notamment employeur/employé, posent un énorme problème en termes de consentement. Dans une situation de tournage, la structure et la pression peuvent être écrasantes, et l'accumulation de déséquilibres de pouvoir (physique, économique, numérique, sexuel, hiérarchique...) rend le consentement réel très... délicat.

Je sais que tout le monde n'a pas les mêmes fantasmes et désirs, et que certaines femmes peuvent aimer ce que l'on voit dans le porno - même si c'est trop brutal pour le corps de la plupart des femmes. Mais je sais aussi que la traite des êtres humains existe. J'ai lu et entendu des victimes de ce commerce hideux, et les conséquences traumatisantes sont terrifiantes. J'ai lu et entendu diverses personnes qui ont enquêté sérieusement sur l'industrie du sexe, et leur conclusion est que une minorité des femmes dans le milieu sont vraiment consentantes. Et bien sûr, tout proxénète veillera à contraindre ses victimes à ne pas le dénoncer. Donc même si une actrice dit qu'elle aime son travail, il est possible qu'elle soit en train de mentir sous la contrainte. Il est impossible de savoir avec certitude si une actrice réalise un fantasme ou est contrainte à un traitement abject.

Je ne veux pas risquer de financer la torture d'un être humain. Je ne veux pas être complice du viol, encore moins en être commanditaire !

Et le porno éthique ?

Si c'est éthique, je n'ai aucun problème.

En fait, le fait même que certains sont obligés de mentionner qu'ils sont éthiques PROUVE que le reste de l'industrie ne l'est généralement PAS. Et, malheureusement, leur part de marché est minuscule (moins de 1%).

Quoi qu'il en soit, si vous voulez regarder du porno, je ne peux que vous encourager à soutenir les démarches éthiques ! Voir cet article de Men's Health ou le site porno éthique d'Erika Lust.

Par ailleurs, je n'ai aucun problème éthique avec la littérature érotique, le cinéma érotique (nudité ou sexe simulé), ou les bandes dessinées et les dessins animés... Quel que soit le degré de transgression d'un "hentaï", personne n'est maltraité dans leur production !

2. Confusion entre amour (sexe) et haine (violence)

Le Sexe, c'est... FAIRE L'AMOUR !

Le sexe est avant tout une expérience partagée ! Un moment de partage agréable et joyeux. Un moment pour se connecter avec la personne qu'on aime le plus au monde - ou au moins quelqu'un à qui on veut du bien. Une occasion de lui faire plaisir et de montrer qu'on a envie de faire plaisir.

Je n'insulte pas les gens que j'aime. Je ne les frappe pas. Je ne leur crache pas au visage. Je ne les torture pas. Pour moi, pour vous, pour la plupart des gens, le sexe est un langage d'amour. J'ai trop de respect pour mon pénis pour l'utiliser comme une arme contre quelqu'un que je méprise !

Ces images de sexe agressif créent une confusion dans nos esprits entre la haine (la violence) et l'amour (le sexe). Et nous voyons ces images beaucoup trop souvent, et cette confusion s'immisce dans nos cerveaux.

Merde, pourquoi tant de haine?

3. Nos attentes et comportements en matière de sexe - éducation par la répétition

S'il ne s'agissait que d'une "niche", accessible uniquement en y consacrant du temps et des efforts, l'effet du porno sur nos esprits et notre société ne serait pas problématique. Si je n'aime pas la musique gothique, je peux passer ma vie sans avoir à en entendre ni ressentir le moindre impact dans ma vie. Mais l'omniprésence du porno et de la culture porno dans nos sociétés fait qu'elle imprègne nos esprits.

Ce que l'on voit souvent, on l'apprend. Combien de publicités connaissez-vous par cœur ?

Or le porno est constellé d'images misogynes et de "culture du viol". Même les mots qu'ils utilisent mélangent l'idée de sexe avec le mépris, la haine, la violence. Les mots que nous employons influencent notre esprit. Les images que nous voyons souvent influencent notre esprit - pensez simplement à quel point il est difficile de ne pas penser à une marque lorsque vous entendez certains slogans. Personne n'est à l'abri de cela. Nos esprits sont envahis par leur idéologie.

De plus, le tabou sur le sexe fait que le porno tient lieu d'éducation sexuelle.

Et à cause de cela, les jeunes hommes et femmes (et les garçons et les filles, à des très jeunes âges) peuvent en venir à penser que le sexe s'apparente à ce qu'ils voient dans le porno. Et même s'ils ne le pensent pas, ils ne savent pas ce qu'ils pourraient faire d'autre ! On pourrait même penser que l'on est censé se comporter, dans la chambre, à l'inverse du reste du temps, avec des valeurs inversées : frapper les gens, les insulter, les blesser, est-ce la manière de montrer de l'amour ? Malheureusement, de nombreux adolescents apprennent le sexe de cette façon.

C'est le triomphe de la culture du viol.

Ceci est documenté par de nombreuses études. Je ne mentionnerai que trois intervenants Ted (en Anglais) :

• Maria Ahlin: let's talk porn; 
• Cindy Gallop: Make love not porn
• Peggy Orenstein: What young women believe about their sexual pleasure; 

4. Impact sur notre imagination et notre créativité.

Pour l'amour de mon pénis ! C'est. Toujours. Le. Même. Script!

Toujours les mêmes actions, dans le même ordre. Toujours le même vocabulaire. Et toujours la même dynamique de pouvoir. C'est tellement... monotone ! Il y a tellement de façons de faire du sexe dans un autre ordre, avec des dynamiques différentes, des rythmes différents... On peut varier dans tellement de domaines !

De plus, le porno remplace notre imagination - et ce serait le cas, même si le script n'était pas si prévisible. Puisque ce sont des images très frappantes, qui semblent très réelles, il est difficile pour notre imagination de reprendre son territoire.

C'est comme pour les adaptations cinématographiques de romans. Quand on a vu le film, il est difficile d'imaginer les personnages avec un autre visage que celui des acteurs et actrices. Il en va de même ici - à la fois avec les images et les scénarios.

Donc, cela appauvrit notre imagination.

5. Le porno est-il addictif? Comment, pourquoi?

Il n'y a pas de consensus sur le fait que le porno soit addictif ou non. Les experts débattent encore sur le sujet.

Mais de nombreux témoignages d'hommes disent qu'ils le ressentent ainsi. Et, il y a des preuves que la consommation de porno a de nombreux effets neurologiques semblables à la toxicomanie. A tout le moins, certaines personnes RESSENTENT le porno comme addictif - ces consommateurs ressentent un  manque, se sentent insatisfaits après la consommation, ressentent le besoin d'y retourner néanmoins ; et éprouvent le besoin d'une dose de plus en plus forte pour atteindre le même effet.

Je crois que je comprends pourquoi. Le porno est une stimulation à 100% mentale (mentale, non corporelle) : on voit des images, on ne ressent aucun toucher. L'excitation est complètement visuelle et ne touche que notre imagination. Aucun plaisir physique réel n'est impliqué.

Comme le dit Esther Perel, "l'organe le plus érogène est entre les oreilles". Donc, oui, c'est très excitant.

Mais, ce n'est PAS notre PROPRE imagination. Ce n'est pas moi qui crée les images. Alors leur effet s'érode, comme pour toute  idée qui n'est pas créé par le propriétaire.

J'ai des fantasmes sexuels que j'ai inventés quand j'avais 15 ans, et ils fonctionnent toujours à 49 ans pour me donner des érections - ils sont "de mon crû", donc ils continuent à fonctionner pour moi. Un film porno n'aura plus d'effet après quelques visionnages. Et un scénario porno perdra en intensité, et j'aurai besoin de quelque chose de "plus fort" - plus violent, plus transgressif.

Pourquoi faut-il que ce soit violent ? Je vois deux raisons :

• Je pense que cela a à voir avec le fait que les films porno n'ont pas un accès direct à nos sensations corporelles, seulement notre esprit. Pour qu'un stimulus purement visuel (mental) puisse activer nos sensations corporelles, il faut qu'il puisse déclencher des émotions - les émotions sont des sensations corporelles. Et l'émotion la plus facile, et la plus immédiate, est la colère.
• La testostérone est impliquée à la fois dans le désir sexuel et dans l'agressivité. Par conséquent, la combinaison violence + sexe est optimale pour une excitation maximale.

Et bien sûr, l'excitation par le porno est facile d'accès. Une chose addictive doit supprimer l'effort de la "satisfaction", et être "prêt quand vous voulez". ce qui est le cas ici. Maintenant c'est non seulement facile, mais gratuit, et... difficile à éviter, même !

6. La Pornographie est un avatar du Puritanisme

Le puritanisme interdit de parler de sexe car celui-ci est "mal".

Le porno montre du sexe, et l'associe à la violence - ce faisant, il prouve à quel point c'est "mal". Et honteux. Et la honte renforce le tabou. 

C'est le même message. Porno et Puritanisme sont alliés. Ils se nourrissent l'un l'autre. Et ils nourrissent le patriarcat et la culture du viol. 

Actuellement, les règles "puritaines" des réseaux sociaux interdisent toute représentation de nudité, rendent impossible de parler de sexe. Ce faisant, elles donnent à l'industrie du porno un quasi monopole du discours sur la sexualité. C'est un cercle vicieux où deux groupes aux positions apparemment opposées sont en fait  deux facettes de la même idéologie.

Le porno enseigne des techniques sexuelles qui seront désagréables pour la plupart des femmes. En conséquence, de nombreuses femmes pourront avoir une image dégradante des relations sexuelles. Eventuellement, elles les accepteront comme une expérience désagréable, nécessaire pour initier une relation intime... Et au final tout le monde a une vie sexuelle misérable.

La pornographie est l'ennemi d'une vie sexuelle épanouissante - qu'elle soit monogame, aimante et fidèle, ou occasionnelle et multi-partenaires.

Résumé et Conclusion