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Je lis souvent que, dans le sexe, "chacun est responsable de son propre plaisir". J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Pour moi, je me sens aussi responsable de mon propre plaisir sexuel que lorsque je vais au restaurant. En effet, plus je connais mes propres goûts et dégoûts, plus j'ai de chances d'apprécier, et plus je suis conscient et éduqué, plus j'apprécierai la même expérience - mais le plaisir réel est surtout (60-80 %) fourni par l'autre.
Aussi, j'ai plusieurs objections à cette réflexion.
1. Déni de responsabilité pour l'autre personne.
Peut-être que je suis responsable de gérer mes propres émotions, mais dans toute interaction, je suis responsable de mes ACTES envers l'autre personne!
Il y a quelques années, j'ai eu une relation sexuelle occasionnelle avec une femme que je venais de rencontrer. À un moment donné, elle a proposé une fellation. Je lui avais dit que j'étais très sensible et fragile. Or, au bout de quelques instants, elle a mordillé mon gland nu avec ses dents. Elle m'a MORDU ! La douleur était si intense que j'ai sauté en arrière par réflexe, j'ai à peine réussi à ne pas lui donner un coup de pied dans la poitrine en m'échappant, j'ai hurlé de douleur et j'ai perdu tout désir. En fait, j'ai été incapable d'avoir des sensations agréables dans mon pénis pendant plusieurs jours. C'était une DOULEUR réelle, intense, physique.
Elle a ri et s'est excusée (vaguement) en disant qu'elle voulait "juste voir à quel point j'étais sensible, et maintenant elle savait. Ha, Ha ! Et elle ne le referait plus". En effet : je ne lui en ai pas donné l'occasion !
Ce ne fut PAS une expérience amusante et agréable pour moi.
À quel point étais-je responsable de mon plaisir dans cette situation ?
2. Inégalité des sexes
Ce qui m'amène à l'inégalité entre les sexes. Une femme un peu tarée avec une idée tordue est une chose. Mais pour les femmes hétéros, avoir des relations sexuelles avec un homme pour la première fois est en effet, a priori, quelque peu périlleux.
Il y avait un article à ce sujet sur The Week intitulé : le prix féminin du plaisir masculin (en Anglais). Pour résumer :
- Pour la plupart des hommes, une "mauvaise expérience sexuelle" est généralement une expérience ennuyeuse, l'absence de plaisir ou un moment très gênant. [Le pire des cas, qui arrive rarement, est un sentiment intense de gêne - sensation d'insuffisance, de perte de confiance. Ce dernier peut être assez horrible, mais rare].
- Pour les femmes hétéros, une "mauvaise expérience sexuelle" c'est de la DOULEUR physique, parfois atroce, parfois traumatisante. 30% des femmes rapportent des douleurs physiques pendant le coït et 72% pendant le sexe anal. [Et le pire des cas, c'est le viol, la violence, l'enlèvement...]. Ainsi, le scénario de base du "mauvais coup" est nettement pire que pour les hommes... et est plus probable.
- Les femmes apprennent, dès leur plus jeune âge, à supporter la douleur et à ne pas se plaindre, si elles veulent obtenir de l'amour. L'exemple le plus simple est celui des standards de beauté – épilation, talons hauts, "il faut souffrir pour être belle"… Ainsi, certaines femmes peuvent ne pas se plaindre parce qu'elles sont entraînées à supporter pour plaire. L'inégalité entre les sexes existe, d'abord et avant tout dans nos esprits et nos comportements.
- Certaines femmes vont éviter de se plaindre auprès d'un "mauvais" partenaire, par crainte que vexer l'homme ne le conduise à des réactions violentes. Il y a une inégalité physique ! Dans le cas d'un très mauvais partenaire (par exemple, celui qui ne respecte pas un « non »), une réaction violente de sa part est en effet assez probable. J'ai connu le cas d'une de mes amies qui était allée à un rendez-vous et qui a été enlevée, battue et violée pendant 3 jours avant que le type ne la laisse partir.
Pour reprendre mon propre exemple, bien moins dramatique, comment aurais-je pu empêcher cette femme de me mordre ? Je lui avais dit que j'étais sensible et que j'aimais la douceur, et elle m'a mordu ! Elle a fait exactement le contraire de ce que je lui avais dit.
Dans de nombreux cas, la seule liberté de choix est de ne plus retourner avec le même partenaire (et même alors, nos traumatismes peuvent nous diriger, voyez comment les personnes maltraitées retournent vers des partenaires violents). Et il n'est pas rare pour une femme que des relations sexuelles, même consenties, soient en fait source de douleur physique. La plupart de mes amies ont eu des relations sexuelles douloureuses ! Certaines de mes amies ont encore, des années après, des cauchemars à propos de relations sexuelles qui étaient initialement consenties.
Ainsi, prétendre que chacun est seul responsable me semble relever du "privilège".
3. Intimité ou solitude?
Selon moi, et pour citer Esther Perel, "le sexe est le portail de l'intimité".
En effet, le sexe est le meilleur moyen de se connecter à l'autre, d'être vulnérable… et de faire preuve d'intimité et d'attention à l'autre. À l'extrême, cette injonction à "être responsable" me semble être un prétexte à utiliser l'autre personne comme un jouet sexuel.
Pour moi, le sexe est LE lieu où l'on doit cesser d'être égoïste. Bien sûr, je vais me soucier de mon propre plaisir, écouter ce que je ressens, mais jamais, jamais je n'utiliserais l'autre personne! Nous vivons déjà dans une société marchande où chacun essaie de profiter des autres, l'intimité de la chambre devrait être un lieu où cela n'a pas de cours ! En fait, faire autrement semble être la voie vers la déception, l'amertume, et une profonde solitude...
Être nu et vulnérable avec quelqu'un que l'on a choisi… cela ne devrait jamais être une expérience solitaire ! La sexualité est un moyen de se connecter, de ressentir l'autre personne, de prendre soin d'elle, de lui donner, de lui montrer à quel point on l'aime, à quel point on veut qu'elle ait du plaisir ! Faire l'amour, c'est faire... l'amour!
Dans mes interactions sexuelles, 50 à 80% de mon attention est concentrée sur ma partenaire. En fait, j'adore les moments où l'un des deux laisse l'autre s'occuper complètement de lui donner du plaisir (en particulier dans le sexe oral, l'un est "passif" et l'autre "à son service").
Mes partenaires ont toujours apprécié cet état d'esprit, et j'en ai été largement récompensé, car il a toujours été réciproque.
4. Apprendre et s'améliorer
Grâce à cette façon de penser, à cette idée que je suis d'abord responsable du plaisir de ma partenaire, et réciproquement, ma vie sexuelle s'est améliorée à chacune de mes amantes. Chacune a ajouté de nouveaux plaisirs à ma liste de sensations possibles, et j'ai fait découvrir à chacune des choses qu'elle n'avait jamais imaginées.
En ce sens, je suis responsable de mon plaisir : en enseignant à mes amantes ce que je savais de moi-même, et en prenant le soin de nous adapter l'un à l'autre, et de nous enrichir mutuellement. Mais ce sont ELLES qui m'ont fait ressentir du plaisir, ELLES qui m'ont appris jusqu'où ce plaisir pouvait aller, et ELLES qui ont inventé de nouvelles façons de m'en donner.